Peux-tu nous expliquer ce qu’est l’impact économique du sport ?
Au CDES (Centre de Droit et d’Economie du Sport), on parle d’impact économique lorsqu’on évalue ce que génère le sport et les activités sportives sur un territoire donnée par rapport à une situation où ce même sport et ces mêmes activités n’auraient pas eu lieu. C’est donc une notion qui n’a de sens qu’en référence à un territoire donné, que ce soit une petite commune ou l’Union Européenne. Et qui cherche à calculer le surcroît d’activités économiques qui ne se serait pas produit sans la présence d’un club sportif amateur ou professionnel, ou d’un événement.
C’est une notion à ne pas confondre avec le chiffre d’affaires, qui indique le poids que pèse le sport dans l’économie française ou de tout autre territoire.
Lorsque vous opérez ce calcul de l’impact économique du sport, quels sont les secteurs d’activités principalement concernés par ce surcroît d’activité ?
Tout dépend du sport dont on parle. Si on parle de la pratique sportive de masse, comme un trail organisé dans le massif des Monédières, alors l’impact sera essentiellement visible sur le tourisme. Il sera généré par les participant·es qui vont se loger et consommer dans les restaurants et commerces locaux. Si l’objet est un événement plus grand, alors la filière événementielle sera probablement concernée car elle répond aux besoins en communication et à l’exploitation des infrastructures sportives. Enfin, si on se place au niveau d’événements comme les Jeux Olympiques et Paralympiques, dans ce cas il faut intégrer la filière du BTP qui répond aux plans d’investissements et mène les travaux de constructions et de rénovations d’infrastructures sportives.
Vous venez justement de publier un rapport sur l’impact économique potentiel des JOP. Que doit-on en retenir ?
Avec ce rapport, nous avons cherché à évaluer de façon prévisionnelle le surcroît d’activités économiques générées en Ile-de-France sur la totalité du cycle de vie des JOP par rapport à une situation où ils n’auraient pas eu lieu. Sachant que le cycle de vie de l’événement s’étend de la phase de préparation (2018) à la phase d’héritage (2034), donc sur 17 ans. Et ce que l’on a mis en évidence, c’est que l’impact économique des JOP s’élèverait à 9 milliards d’euros, réparties de la manière suivante : 3,8 milliards d’euros dans le secteur de l’événementiel, 2,7 milliards d’euros pour le tourisme et 2,5 milliards pour le secteur de la construction (d’après les chiffres du scénario intermédiaire).
Pour autant, et nous le précisons dans le rapport, ces chiffres ne permettent pas de répondre si oui ou non l’accueil des JOP est une bonne affaire pour le territoire d’Ile-de-France.
« Ces chiffres ne permettent pas de répondre si oui ou non l’accueil des JOP est une bonne affaire pour le territoire d’Ile-de-France. »
Pourquoi ? Car bien souvent quand on nous parle d’impact économique, on à le sentiment que cela vient légitimer, presque par magie, des stratégies politiques. Alors que ne nous disent pas ces chiffres ?
La première limite aux études d’impact, c’est qu’elles ne disent rien de la qualité de l’impact économique généré. Or cet impact peut-être “vert” s’il permet par exemple à des énergies renouvelables de se développer, mais “gris” s’il fait appel à des produits et services émetteurs en gaz à effet de serre. La seconde limite, c’est que l’impact économique seul ne permet pas de prendre des décisions éclairées. Je vous donne un exemple. Si demain un avion s’écrase dans le Sahara, l’impact économique n’en sera que très faible car dans le désert il n’y aura pas de dégâts au-delà des coûts engendrés pour aller récupérer les morceaux de l’avion, les boîtes noires et les victimes. À l’inverse, si ce même avion s’écrase en plein New York, l’impact économique sera très élevé car il faudra tout reconstruire, ce qui fait tourner l’économie. Donc si on ne s’intéresse qu’à l’impact économique, on pourrait en conclure qu’il est bien mieux que les avions s’écrasent à New York plutôt qu’en plein désert… Et ce même raisonnement peut s’appliquer aux événements sportifs. Si on raisonne uniquement par le prisme de l’impact économique, on pourrait vouloir, pour le maximiser, mettre l’accent sur les publics internationaux car on ne comptabilise que ce qui arrive de l’extérieur du territoire d’analyse. Or en faisant ça, on augmenterait drastiquement les externalités négatives sur le plan environnemental.
Il faut donc manier les chiffres de l’impact économique avec précaution. Ces chiffres permettent d’avoir une idée de ce que peut générer économiquement un événement, mais ne donnent pas d’indications sur ce qui aurait pu être généré si on avait investi ce même argent ailleurs, ni sur la qualité de cette stimulation économique.
Si je résume, c’est un indicateur qui, parce qu’il ne calcule que l’agitation économique, ne dit rien sur la bienfaisance du projet calculé. On retrouve les mêmes arguments avancés par les économistes de la décroissance qui dénoncent le PIB comme seul indicateur de mesure pour calculer le bien être de la société.
Tout à fait. Et c’est pour ça que le débat se déplace progressivement du seul indicateur d’impact économique vers les sujets d’héritage et d’impact social et environnemental. Car cela permettrait d’intégrer au calcul les externalités positives et négatives engendrées, et donc de mieux connaître le prix social et environnemental à payer pour la mise en place de tel ou tel projet sur un territoire.
Mais alors, pourquoi n’avez-vous pas intégré ces indicateurs dans votre étude ?
Tu touches un point sensible… Le calcul de l’impact économique a historiquement fait l’objet de nombreuses controverses car il a souvent été mal fait par différents prestataires. Et les erreurs commises avaient toutes pour conséquence de surévaluer considérablement l’impact potentiel par rapport à l’impact réel. Nous avons donc dû opérer un gros travail avec l’aide de Jean-Jacques Gouguet pour renforcer la méthodologie de ce type d’études et faire respecter ces principes de rigueur méthodologique. Il faut d’ailleurs saluer le fait que, désormais, le ministère des Sports et des JOP demande à ce que cette méthodologie soit systématiquement appliquée. Ces travaux sont donc arrivés, sur le plan méthodologique, à une phase de maturité. Mais il faudra effectivement qu’un ouvre un second chapitre pour qu’on comprenne précisément comment sont générés ces impacts et quelles sont leurs empreintes carbone, matière et eau. On pourrait en ce sens : soit associer de façon systématique au calcul d’impact économique, un calcul d’impact écologique pour juger de la pertinence de l’un au regard du niveau de l’autre. Soit, et c’est la proposition que nous défendons, coupler le calcul d’impact économique à un calcul de rentabilité sociale et écologique. Ce qui nous permettrait de juger de la pertinence de l’impact économique au regard des bénéfices environnementaux et sociaux que cela engendrerait.
Autre question méthodologique. Pourquoi ce que coûte l’événement n’apparaît pas dans votre calcul ? Cela ne permettrait-il pas d’avoir une meilleure idée de la rentabilité réelle ?
Les études d’impact ne comparent pas les résultats avec les coûts car il y a une corrélation positive entre les dépenses que l’on fait et l’impact économique que cela génère. Autrement dit, plus on dépense, plus il est probable qu’on génère de l’impact économique en faisant appel à des prestataires internes au territoire d’étude. Par exemple : si on avait intégré les investissements qui ont été réalisés lors de la Coupe du monde de Courchevel-Méribel, il est probable que l’impact économique que nous nous apprêtons à publier serait plus élevé… D’où l’importance de bien dissocier les deux. Et de s’assurer par ailleurs de la complète transparence de l’évaluation des coûts. Car en effet, il est primordial de connaître l’ensemble des coûts associés à ces événements. Et par là j’entends : les coûts d’organisation, d’investissement, mais aussi les coûts d’exploitation qui pour des infrastructures comme des stades ou des centres aquatiques, s’inscrivent sur le temps long pour les collectivités locales qui en ont la gestion.
Dans le rapport, vous parlez de « choc de demande », or un choc d’après la définition du Larousse est une rencontre plus ou moins violente et brusque entre deux corps. Terminologie qui m’a rappelé le livre de Jade Lindgaard, Paris 2024, dans lequel elle parle de « violence urbaine » et « d’extractivisme olympique », pour qualifier l’impact des Jeux sur la Seine Saint Denis. D’où ma question : Peut-il vraiment y avoir un développement territorial sain par le biais de « chocs économiques » ?
La notion de choc est une notion économique qui n’est pas spécifique à ce rapport. On parle de « choc externe de demande » lorsqu’on mesure un impact, car ce qu’on mesure in fine c’est une augmentation de la demande effective. Maintenant effectivement, cette notion est parlante car elle laisse entendre que c’est un choc sur le plan économique, mais aussi potentiellement sur le plan social et écologique. Dans son livre Jade, évoque le sentiment d’exclusion des habitants de la Seine Saint Denis, les déplacements de population en amont, et la potentielle gentrification en aval des Jeux. Et je pense qu’elle met en évidence une question centrale qui est la suivante : comment faire pour que ces événements sportifs ne soient plus des ovnis qui s’imposent à toutes et tous ; des actions qui certes produisent des effets économiques, mais qui trop souvent sont éloignés des considérations territoriales, et qui en prime favorisent l’exclusion sociale plutôt que la mixité sociale ? Cependant, concernant Paris 2024 je reste moins critique que l’autrice, car j’ai le sentiment qu’on à tenté de faire des choses pour limiter cette notion de « chocs ». Je pense notamment à la charte sociale, aux actions menées avec les acteurs de l’ESS ou encore aux TPE, PME, qui ont été privilégiées dans certains appels d’offres. Tout n’est pas parfait, mais on a avancé par rapport à d’autres éditions.
« Comment faire pour que ces événements sportifs ne soient plus des ovnis qui s’imposent à toutes et tous ; des actions qui certes produisent des effets économiques, mais qui sont trop souvent éloignés des considérations territoriales, et qui en prime favorisent l’exclusion sociale plutôt que la mixité sociale ? »
La décroissance dans le sport, est-ce pour demain ?
Je fais partie de celles et ceux qui considèrent qu’on n’a plus le choix et qu’on doit en effet penser la transition écologique du sport au regard des limites planétaires. D’abord, parce que le sport ne vit pas dans une bulle. Il fait partie de la société et doit lui aussi faire sa part en anticipant et en s’adaptant. Mais aussi car de manière pragmatique, si demain nos événements sportifs en viennent à s’arrêter brutalement du fait de la contrainte climatique, c’est toute l’économie du sport qui en chaîne pourrait s’effondrer. Les événements de la FIFA, de l’UEFA et du CIO permettent de dégager des revenus qu’ils reversent ensuite en très grande majorité aux acteurs sportifs que cela soit au sport professionnel pour la FIFA et l’UEFA (à travers les programmes Forward et Hat-Trick) ou au sport amateur, et à l’ensemble du mouvement sportif pour le CIO par le biais du programme de solidarité olympique.
« Si demain l’économie des Jeux s’effondre par manque d’anticipation, il est probable qu’elle entraîne dans son sillage les disciplines qui en dépendent »
Pourtant il reste rare de croiser des économistes spécialistes du sport hétérodoxes…
La prise en compte a été tardive, mais elle tend à s’accélérer. Pendant des années, Jean-Jacques Gouguet passait sûrement pour un illuminé, c’est vrai ! Mais aujourd’hui ce n’est plus le cas, car ces sujets se sont imposés dans le débat public. Lorsque Bruno Le Maire tente de caricaturer les décroissants, il ne trompe plus personne. Timothée Parrique est passé par là et à réussi à vulgariser à grande échelle le concept de décroissance, même dans le sport ! De plus en plus d’économistes développent des choses intéressantes sur le sujet de la régulation sportive et des usages. Et par ailleurs, quand des triathlons deviennent des duathlons, car l’eau trop polluée ne permet pas de faire l’épreuve de natation, ou que des matchs de la Coupe du monde de rugby au Japon (en 2019) sont annulés, ça permet de faire évoluer la maturité globale du secteur.
Ma dernière question fait le lien avec le dernier épisode du podcast. D’après toi, comment s’émanciper des « mauvais » sponsors dans le sport ?
Je crois que les acteurs sportifs sont pris en tenaille entre l’envie de renoncer à ces sponsors peu vertueux et le manque à gagner que ce renoncement leur coûterait à court terme. Beaucoup ont peur de sauter le pas, car le sport reste pris dans le paradigme économique dominant, qui est la croissance permanente. Il est donc risqué de se créer un désavantage compétitif vis-à -vis de ses compétiteurs. C’est pourquoi à court terme, je ne suis pas sûr qu’on arrive à remplacer Coca-Cola qui investit des millions voire des milliards de dollars dans le sport, par un collectif de sponsors plus éthiques et responsables. Tant qu’il n’y aura pas de régulation à l’échelle européenne ou mondiale pour interdire partout et pour tous le sponsoring sportif de ces marques ou instaurer une taxe, cela me semble compliqué. Mesure qui, au demeurant, s’attaquerait à l’une des valeurs cardinales de la Commission européenne : la concurrence.