Quelles ont été tes motivations pour prendre la présidence de la Fédération Française de badminton (FFBad) ?
J’ai eu envie d’écrire une page de l’histoire du badminton car j’estime que c’est une discipline extraordinaire qui n’a pas la place qu’elle mérite. C’est un sport où il est facile de s’amuser même lorsqu’on n’est pas bon. Et je sais de quoi je parle… Je suis issu d’une famille de pongistes, j’ai été traumatisé par les services avec des effets où je ne touchais pas la balle en retour de service. Avec le badminton, quel que soit votre âge, pas besoin de faire deux ans de technique pour prendre du plaisir. C’est pour ça que j’ai souhaité intégrer la FFBaD en faisant campagne avec une équipe entièrement composée de dirigeants de terrain, sans expérience fédérale. Nous voulions répondre à la question suivante : comment le badminton peut-il impacter positivement les trajectoires de vie ?
« Le monde a changé, mais pas le modèle des fédérations sportives qui a peu évolué depuis la refonte de De Gaulle en 1960 »
Faut-il changer les institutions pour que le sport s’ouvre sur la société ?
Oui, du gouvernement aux fédérations, en passant par le comité olympique et les organismes déconcentrés, il y a beaucoup de déconstruction à faire sur le « sport ». Sur pourquoi il existe et ce qu’on aimerait qu’il soit. Actuellement la raison d’être du sport en France est gravée dans le marbre : nous sommes là pour divertir. Mais ne peut-on pas être plus que ça ? Ne souhaite-t-on pas que le sport fasse partie des solutions aux problèmes de société ? Que les fédérations puissent incarner un imaginaire collectif autour de l’épanouissement et de l’intérêt général ? Qu’elles deviennent le lieu du « nous » plutôt que le lieu du « je ». Donc oui, je crois que nous devons opérer de grands changements et qu’il faut revenir à l’essentiel, à savoir : le projet associatif. Donner de la visibilité à ce mouvement sportif dans toute sa diversité, au bénévolat, à toutes les typologies de pratiques sportives. Arrêtons de parler des valeurs du sport et parlons plutôt de « pouvoir du sport », de potentialité, de champ des possibles. D’ailleurs, la ministre l’a annoncé en décembre dernier, le modèle des fédérations à mission doit devenir la norme.
Le rapport de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur les défaillances de fonctionnement au sein des fédérations sportives est effarant. A t-il été une surprise ?
Il n’y a rien à dire sur le fond, c’est factuel, documenté et nous en avions besoin puisque certains acteurs refusent encore de se remettre en question. En revanche, la forme me choque beaucoup. Je ne comprends pas qu’un rapport d’enquête parlementaire puisse être rédigé par une seule personne. C’est dommage car ce règlement de compte nuit au fond. D’ailleurs, deux mois après, plus personne n’en parle, alors qu’on devrait tous s’atteler à mettre en œuvre les préconisations de ce rapport et de celui du comité national d’éthique sorti juste avant. On ne peut pas prétendre que le sport est bon pour l’éducation si on ne travaille pas sur notre exemplarité. Cela devrait être un devoir d’être plus vertueux que le reste de la société. Les enfants d’aujourd’hui sont les décideurs de demain. Nous devrions avoir cette ambition commune.
« En nous appuyant seulement sur la base de notre légitimité électorale, nous sommes entrés dans un rapport de force politique qui était une impasse »
Comment expliques-tu la levée de boucliers provoquée par votre projet fédéral ?
La première chose, c’est que nous avons manqué de pédagogie. Le terme de performance sociale est relativement récent dans le jargon sportif, même si la réalité est ancienne. Or nous n’avons pas su expliquer que promouvoir la performance sociale, c’est avant tout visibiliser ce qui se passe dans les clubs. Que ce n’est pas une dénaturation du sport, mais une manière de donner de la visibilité à l’ensemble des publics, et pas seulement au 0,1% concernés par le haut niveau. Ensuite, nous sommes allés trop vite car nous voulions être prêts pour l’arrivée des JOP2024. Mais cela nous a conduit à partir sur un sprint, plutôt que sur un demi-fond et à pousser un sujet social au moment même où les projecteurs sont braqués sur le haut niveau. Enfin, je pense que nous avons provoqué une vague de peur, car non seulement nous osions remettre en cause un statu quo, mais surtout, nous étions une équipe composée à 100% de dirigeants de terrain proche de 35 ans avec zéro expérience fédérale et un peu donneuse de leçons… Or si nous sommes convaincus de l’intérêt d’intégrer des gens provenant de l’ESS (ou d’ailleurs) dans les directions de fédération, car il faut sortir de l’entre-soi sportif, il faut trouver le juste milieu. En poussant le curseur trop loin et en nous appuyant uniquement sur la base de notre légitimité électorale, nous sommes entrés dans un rapport de force politique avec une partie des acteurs historiques. C’était une impasse. Aujourd’hui, je réalise à quel point l’accompagnement au changement est un élément essentiel dans une telle démarche.
Raison d’être, fédération à mission, intelligence collective… Quelles ont été tes sources d’inspiration pour ce mandat ?
Nous nous sommes inspirés du concept de perma-entreprise développé par Sylvain Breuzard avec l’idée qu’il ne faut pas mettre l’ensemble de ces œufs dans le même panier et de ce que j’ai découvert lorsque j’étais dans le cercle d’orientation des Colibris. Une gouvernance associative qui n’avait rien à voir avec celle du monde sportif. Pas de présidence, des débats mouvants, du tirage au sort, des techniques d’animations d’intelligence collective dont je n’avais jamais entendu parler malgré mes 20 ans de bénévolat dans le sport. Je crois qu’il faut s’inspirer de ces grands mouvements démocratiques et écologiques qui existent en dehors du monde sportif. Il y a plein de choses à y puiser. Mais à nouveau, je déconseille de plaquer ces outils sans prendre le temps au préalable d’en expliquer les avantages et les inconvénients. Plein d’engouement, nous avons instauré un système de tirage au sort pour les bénévoles, mais à nouveau, on nous a reproché de leur manquer de respect en ne respectant pas leurs CV et l’aspect méritocratique des parcours de chacun. Alors que c’est justement tout l’intérêt des tirages au sort.
As-tu des regrets ?
Sur le fond aucun, car je sais que l’avenir du monde associatif sportif est celui qu’on a commencé à dessiner. Que le rôle d’une fédération devrait être d’étudier les grandes tendances qui se dégagent et de construire des outils à destination de ses bénéficiaires, pour accompagner les transitions vers des modèles plus ouverts et moins mono-centré sur l’aspect compétitif. Mais sur la forme on ne peut avoir que des regrets, car pour arriver à un tel degré de tensions c’est qu’on a tous loupé quelque chose dans ce mandat.
« Promouvoir la performance sociale, c’est avant tout visibiliser ce qui se passe dans les clubs »
La situation économique n’est-elle pas également un facteur de mécontentement ?
En effet, la situation financière catastrophique et inédite de la FFBaD n’aide pas et je ne nie pas notre responsabilité sur ce sujet.
Quand nous avons commencé notre mandat dans le contexte de crise sanitaire, nous étions à genoux car le modèle économique de la fédération dépendait à 60% des recettes des licences. Grâce au soutien de l’État et au fonds de compensation aux entreprises en difficulté, nous avons traversé la crise. Il nous semblait alors que c’était le bon moment pour réduire notre dépendance aux licences en allant chercher de l’argent ailleurs. C’est pourquoi nous avons voté à 80% en assemblée générale l’investissement de notre excédent dans le développement d’une fondation. Nous étions convaincus qu’à l’ère de la RSE, de l’engagement, du sens et du sport comme grande cause nationale, notre projet fédéral, qui défendait l’utilité sociale et la responsabilité territoriale des clubs de badminton, serait attractif. Sauf qu’on s’est trompés. Nous avons oublié que les entreprises et philanthropes ne font pas de partenariat sans retour médias. Or si le badminton est autour de la 15ème place en termes de nombre de licences, il se situe plutôt à la cinquantième place en temps de médiatisation. Par ailleurs, les JOP et l’accompagnement des athlètes, aspirent actuellement énormément de financements. Conclusion : après 1,5 ans d’existence notre fondation a collecté 6000€.
Quels sont les leviers que tu identifies pour faire bouger le système du sport ?
J’en veux beaucoup aux médias sportifs car ils entretiennent ce système fédéral coincé en 1960. Je ne comprends pas pourquoi on évoque jamais les clubs de quartiers qui font de l’éveil au numérique ou qui accompagnent le parcours éducatif des enfants. Pourquoi personne ne connaît les trophées Philippe Séguin alors qu’ils sont une source d’inspiration exceptionnelle. N’est-il pas étrange d’évoquer si facilement les sujets négatifs tels que les rémunérations exorbitantes de certains sportifs, le dopage, les matchs truqués, les présidents de fédé qui piquent dans les caisses ou qui ont des comportements déviants avec des femmes, mais jamais les choses merveilleuses que le sport permet ? Les associations ont beau être le ciment de la société française, elles sont invisibles dans nos séries, nos films, nos livres… Pour preuve : une grande réussite des JOP2024 c’est le fonds de dotation Impact 2024 qui institutionnalise pour la première fois des financements pour le sport à impact. Mais ça, personne ne le sait.
J’aimerais qu’on utilise le momentum des JOP pour visibiliser à côté du haut niveau le bénévolat et montrer que le passage dans une association sportive peut changer un parcours de vie. Que cela peut aider à se remettre de choses très dures, à construire des amitiés, des familles… Que cela se construit avant tout dans le rapport aux autres. Que c’est gratifiant et que ça peut aussi être un truc de dingue à mettre en œuvre.
Tu préfères le terme d’association sportive, au terme de club, pourquoi ?
La première chose qui vient à l’oreille quand on parle d’association sportive, c’est le fait d’associer les gens. C’est l’idée de regrouper des personnes autour d’un projet associatif. Contrairement au mot club qui dans l’imaginaire collectif renvoie à la compétition et aux structures de sports très médiatiques. Actuellement, on se plaint souvent de manquer de bénévoles pour emmener les enfants dans les gymnases à l’autre bout du département le samedi matin. Pourtant, je suis certain qu’on arriverait à embarquer de nouvelles personnes si on mettait davantage en avant les sujets de mixité, d’inclusion, de handicap, d’éducation, en somme ce qui touche aux associations plutôt que ce qui touche aux clubs. Car on arriverait à attirer d’autres fibres d’engagement que celle du sport.