Peux-tu nous décrire ce que fait l’IGN ?
L’IGN est un établissement public qui observe, décrit et délivre des informations structurantes concernant les bouleversements environnementaux que subissent les territoires. Nous mettons à disposition ces données gratuitement sous forme de cartes au format papier ou numérique.
Vous ne faites donc pas uniquement les cartes de randonnées ?
En tant qu’originaire de Haute-Savoie j’ai grandi entourée de cartes IGN en relief accrochées aux murs…. Pour autant, je partirai sereine le jour où nous serons reconnus autrement que comme l’institut qui fait uniquement les cartes de nos vacances ! Nous travaillons à fédérer les acteurs de la donnée pour produire et délivrer des outils de connaissance de nos espaces. Cette action de l’IGN est aujourd’hui fondamentale pour ne pas piloter la transition écologique à l’aveugle.
« Une carte n’est jamais neutre, il y a toujours un parti pris. Le notre est de montrer les changements environnementaux rapides et violents qui affectent nos territoires »
Quelles différences y a-t-il entre les cartes que développe l’IGN et celles bien connues développées par les GAFA comme Google Maps ?
Une carte n’est jamais neutre, il y a toujours un parti pris. Le notre est de réaliser des cartes qui montrent les changements environnementaux rapides et violents qui affectent nos territoires. Cela n’a pas toujours été le cas ; à ses débuts, l’IGN était un institut militaire et ses cartes servaient principalement à faire la guerre.
Les GAFA répondent à des objectifs commerciaux. C’est l’adage bien connu selon lequel si c’est gratuit, c’est que c’est vous le produit. Nous ne cherchons pas à générer des bénéfices. Nos cartes comme nos modèles économiques sont donc très différents.
Votre slogan est « changer d’échelle pour pouvoir agir ». Comment le fait de changer d’échelle permet-il la mise en action ?
Tu as probablement déjà entendu l’argument selon lequel il serait impossible de faire la transition écologique sans une coordination internationale ? Eh bien c’est la même chose, mais à l’échelle nationale. Pour mettre en place une coordination nationale, nous avons besoin de référentiels communs sur le territoire français. Prenons l’exemple des feux de forêts : comment réagir efficacement si chaque territoire a son propre système de prédiction, ses applications et que ces dernières ne sont pas APIsées ? Ce slogan témoigne donc du rôle nouveau que nous endossons qui est de faire coïncider ce qui se fait à l’échelle locale pour permettre le développement d’outils de pilotage nationaux. Avec la loi Climat et résilience et son objectif de zéro artificialisation nette des sols, nous avons par exemple participé à l’élaboration d’un référentiel national qui permet de coordonner l’ensemble des acteurs du territoire et de parler un langage commun. Aujourd’hui tout le monde peut savoir ce que cela signifie de prélever x hectares à la nature et de devoir en rendre un nombre similaire.
Tu évoques le fait de ne plus piloter la transition à l’aveugle, ce qui m’amène à la question suivante : que révèlent vos cartes et comment permettent-elles d’éclairer un sujet ?
Aujourd’hui il est possible de mettre en carte tout un tas de sujets grâce aux techniques de datavisualisations dont nous disposons. Bruno Latour a développé une cartographie des controverses… Mais pour revenir à nous, par exemple, l’un de nos enjeux à l’avenir sera, compte tenu du contexte de montée des eaux, d’arriver à rendre visible sur une même carte l’évolution du trait de côte en fonction de périodes données. Cela afin de mieux anticiper les conséquences que ces transformations auront sur l’urbanisation, la biodiversité, les littoraux, les déplacements de populations, ainsi que la vie des citoyen·nes.
Contrairement à un tableau excel ou à des courbes mathématiques, les cartes jouent un rôle de révélateur qui est très puissant. Elles fixent quelque chose dans notre esprit et nous obligent à regarder la vérité en face. Pour reprendre l’exemple des cartes qui révèlent le trait de côte : c’est une chose d’avoir conscience de ce phénomène, s’en est une autre de voir que dans dix ans la mer aura gagné le cœur de votre village… Cela peut générer des prises de conscience assez brutales et l’on voit bien que l’on touche à des sujets politiquement sensibles. Car une fois qu’un·e élu·e à l’information, comment met-on en place des mesures de résilience ? Comment en parle-t-on aux citoyen·nes ?
La carte a par ailleurs cet avantage de ne pas être contestable. Certes, il fait toujours chaud en août à Chamonix, mais personne ne peut contester qu’il ne reste quasiment plus rien de la mer de glace sur la carte des glaciers que nous venons d’actualiser et que cela est sans précédent…
Lorsque nous déplions une carte pendant nos tournages, nous faisons souvent le constat qu’une atmosphère presque instantanée s’installe. Comme si la carte avait le pouvoir de rassembler autour d’elle.
La carte offre un temps de pause et de prise de recul. Même si l’on utilise de plus en plus nos téléphones pour nous déplacer et nos montres connectées pour nos trails ou nos footings, il y a toujours un plaisir à en déplier à posteriori. Cela permet de prendre conscience du trajet réalisé et de se situer dans cette immensité. Je ne saurais pas dire d’où ça vient, mais c’est particulièrement frappant en montagne. Quand il y a une carte dans un refuge, tout le monde y va. C’est à la fois fascinant car cela permet de voir ce qui nous entoure – l’eau, les montagnes, les plaines – et source d’émerveillement, notamment lorsque cette dernière retrace l’histoire et la manière dont on se représentait les choses par le passé.
« Faire des cartes c’est nécessairement avoir un train de retard sur les événements ! »
On vient de parler de ce que les cartes révèlent, mais qu’en est-il de ce qu’elles ne montrent pas. Où sont les angles morts ?
Faire des cartes (non prédictives) c’est nécessairement avoir un petit train de retard sur les événements ! Il y a un temps incompressible de production. Il faut récupérer les données, les traiter, les mettre en cartographie, rectifier les photos, … Ce qui, dans un contexte où les changements s’accélèrent, nous interroge. Aujourd’hui la mer de glace n’est déjà plus la même que celle visible sur notre carte qui utilise les données de 2021 et de 2022… Nous essayons donc de limiter ce retard par le biais de nouvelles techniques : en alliant la précision des données aériennes avec la récurrence des données satellites qui font le tour de la terre plusieurs fois par jour ; en développant des cartographies continues grâce à de l’intelligence artificielle, plutôt que statiques, etc. Notre chance est de travailler une science de l’information géographique qui évolue énormément.
Face à un Président qui appelle à une “pause réglementaire européenne” en matière de normes environnementales, quelle assurance avez-vous que les outils que vous développez – aussi importants soient-ils – ont une réelle utilité ?
À l’IGN, nos données sont ouvertes et en accès libre. Nous travaillons à déployer des géocommuns avec les communautés d’acteurs. Si par exemple une personne fait partie de la communauté des architectes de France et souhaite développer une carte des matériaux biosourcés qui répertorie les gisements de matières, alors l’IGN, par le biais de sa fabrique de géocommuns, peut aider cette personne à rassembler les données dont elle a besoin quand elle en a besoin. Les données ouvertes permettent à toute personne, qu’elle soit isolée, en association, ou dans une administration, de pouvoir prévoir, anticiper et imaginer des solutions pour son territoire. Nous sommes lucides sur ce point : nous ne sommes pas les experts de terrains et nous ne sommes pas les détenteurs de solutions. Nous apportons la connaissance, les personnes qui vivent au quotidien ces transformations et qui sont prêtes à agir à leur échelle peuvent s’en saisir.
L’Institut national de l’information géographique et forestière est un établissement public à caractère administratif placé sous la tutelle des ministères chargés de l’écologie et de la forêt. Sa vocation est de produire et diffuser des données (open data) et des représentations (cartes en ligne et papier, géovisualisation) de référence, relatives à la connaissance du territoire national et des forêts françaises ainsi qu’à leur évolution.
L’IGN est également le partenaire de Vent Debout et soutient le podcast financièrement