Ci-dessous, le compte rendu de ce webinaire-témoignage à la rencontre de ces trois femmes sportives qui militent pour la mer. Une conférence qui s’inscrit dans la série « Les Voix de l’Océan » de la communauté Women for Sea, en partenariat avec Vent Debout.
Quelle sportive êtes-vous ?
Pour commencer cet échange, nous sommes revenus sur le parcours de nos trois invitées. Qui sont-elles ? Quels sont leur palmarès sportif ? Leur lien à la mer ?
Est-ce une surprise : Flora, Marie et Azenor ont toutes les trois grandi à proximité de la mer dans des destinations qui pouvaient prédire leur future discipline sportive. Marie Chauché à grandi dans le Pays Basque, là où le surf est un mode de vie, Flora Artzner au bord de la mer méditerranée, à proximité de nombreux spots de planches à voile et Azenor Le Gal près de Lorient, là où « les bêtes de courses » prennent le large pour de grandes traversées. Leurs passions respectives sont d’abord nées de cette proximité avec l’océan. « J’ai grandi au bord de la mer, j’ai toujours eu un énorme attrait pour elle. Je nageais, courais sur les rochers… J’ai un lien intime avec elle depuis toute petite », témoigne Azenor. Pourtant leur carrière de sportive ne sont pas similaires. Marie avait 15 ans quand elle a commencé les compétitions de surf. Aujourd’hui jeune adulte, elle cumule de nombreux titres de championne de France en Longboard, en fédéral et en universitaire, et en sauvetage côtier, tout en poursuivant sa carrière de surfeuse en parallèle de ses études. Flora, a de son côté découvert la compétition de wingfoil lorsqu’elle était déjà adulte. « Pour moi le sport de haut niveau est arrivé en deuxième partie de carrière ». Une révélation tardive qui ne l’a pas empêché de rafler de nombreux titres dont celui de championne du monde en 2022, avant de se retirer des circuits à cause du sexisme qui sévit dans son sport. Quant à Azenor qui évolue en semi-pro en voile, sa carrière dans ce milieu est plus récente. Elle a commencé en 2022 avec un objectif bien précis : celui de prendre le départ de la célèbre mini transat en 2025. Une passion commune pour la mer qui se retrouvent également dans leurs choix de carrières professionnelles puisque Flora est consultante en préservation de la biodiversité marine et côtière et Marie vient de clôturer un master à Sciences Po Bordeaux en transition écologique.
« 80% des déchets en mer proviennent de la terre et parmi eux 80% sont des déchets plastiques »
Flora Artzner
Pour autant, s’il suffisait de pratiquer des sports nautiques pour s’engager à préserver l’océan, il y aurait de nombreux militant·es… Dès lors, nous avons continué de questionner nos invitées pour comprendre leur parcours et découvrir ce qui les lie intimement à ce milieu. Pour Marie et Azenor, ce sont d’abord des souvenirs de rencontres impromptues, avec des dauphins, des orques, des requins ou méduses. Des moments de joie profonde et d’émerveillement. Flora, nous parle quant à elle, du sentiment qu’elle éprouve et chérie dès qu’elle est sur sa planche : « Je ressens quelque chose d’hyper fort dès que je suis au contact de l’eau, du vent et des vagues ». Mais ce qui les pousse d’abord à s’engager pour l’océan, ce sont les conséquences du dérèglement climatique et les pressions anthropiques dont elles sont les témoins. Azenor nous parle des quantités de déchets aperçues lors de sa récente traversée de l’Atlantique et des thermiques qui changent et alarment les marins. Marie et Flora évoquent la qualité de l’eau médiocre ainsi que les espèces invasives comme les algues vertes qui prolifèrent dans des régions qui en étaient auparavant dépourvues. « Il m’est déjà arrivée de faire des contre performance en compétition à cause de déchets plastiques qui se sont bloqués dans mon foil » raconte Flora. Elles évoquent également un mal moins perceptible à l’œil nu, mais tout aussi dramatique : celui des canicules marines qui dévastent la Méditerranée. « Ce sont de vrais incendies sous-marins, avec des conséquences désastreuses sur la posidonie et les gorgones ». Ou encore, les ravages que provoquent les DCP (dispositifs de pêche) et casiers non déclarés : « ce sont souvent des dispositifs de pêche oubliés, faits avec des bouteilles en plastique, qui partent au large et se transforment en déchets. Aux Antilles, c’était une hantise » poursuit Azenor, qui se souciait de l’état de son bateau.
On comprend ainsi que les maux qui touchent l’océan ne sont pas sans conséquences pour nos sportives qui performent dans cet environnement. Il leur devient nécessaire d’adapter leur pratique et de « faire avec » cette nouvelle réalité. Cependant, les manières de s’engager sont multiples. Y a-t-il des actions que nos invitées font plus que d’autres ? C’est ce dont nous parlons dans cette seconde partie de webinaire dédiée à leur mobilisation.
Signer des pétitions ou risquer sa vie pour des baleines ?
Marie Chauché ouvre le bal et précise que les actions qu’elle mène évoluent au fur et à mesure des opportunités. Elle collabore parfois avec des associations, écrit des articles dans des revues de surf, sensibilise ses cercles amicaux et familiaux, grâce à la fresque du climat dont elle est animatrice. « Pendant un moment je recrutais des adhérent·es pour l’association Greenpeace. J’ai ensuite relayé certaines des campagnes de Surfrider dans le cadre des élections européennes (…) J’essaie de sensibiliser en passant par les émotions : montrer qu’il faut prendre soin de ce qui nous entoure ». Elle évoque également des axes d’engagement spécifiques à sa pratique sportive : faire le choix de sponsors en accord avec ses valeurs ; ne pas utiliser n’importe quelle crème solaire ; utiliser sa notoriété pour être relais de messages sur les réseaux sociaux, etc.
« C’est important d’avoir ce rôle de porte-parole même si on n’est pas des footballeurs
professionnels »
Marie Chauché
Flora en convient parfaitement. Elle aussi use de sa notoriété de sportive pour passer des messages, car elle le reconnaît, en tant que sportive, elle a plus de visibilité qu’en tant que chercheuse. « Aujourd’hui les sportif·ves ont une influence extrêmement importante dans notre société. Il y a évidemment le football, le tennis, le ski, mais aussi d’autres sports. » Elle essaie de sensibiliser les personnes qui la suivent sur les réseaux sociaux et s’allie dès qu’elle le peut à d’autres athlètes pour démultiplier son impact, comme lors de cette campagne appelant à voter contre l’extrême droite. Comme Marie, ses actions sont multiples et évoluent au fil du temps. L’important, c’est le point de départ nous dit-elle : « à chacun et chacune de commencer par ce qui lui paraît évident. Parfois c’est auprès de notre entourage, parfois dans nos milieux sportifs…» Son point de départ fut son élection au comité des riders sur le tour mondial. C’est d’abord là bas qu’elle a essayé de faire bouger les choses, avant de lancer sa propre compétition – la Roca Cup – pour montrer l’exemple. « La Roca Cup à eu un impact important dans l’univers du wingfoil. C’est un démonstrateur sur les questions environnementales et sur la place des femmes dans nos compétitions ».
Pour Azenor enfin, son engagement se focalise principalement sur sa pratique sportive. Elle cherche à prouver qu’il est possible de pratiquer la course au large en limitant au maximum son impact environnemental. Comment ? En faisant le choix de sponsors éthiques, en entretenant son bateau avec des produits écoresponsables plutôt qu’avec des biocides, en récupérant, bricolant et plus contraignant : en faisant le trajet retour à la voile plutôt qu’en cargo lors de sa traversée de l’atlantique. « Je suis hyper fière d’être la première femme à l’avoir fait. On est moins de dix navigateurs dans l’histoire de la classe mini à avoir fait le retour à la voile ». Une ligne de conduite qui lui prend plus de temps, mais qui n’en rend pas le défi sportif moins intéressant : « Je veux montrer qu’on peut faire les choses autrement car dans la course au large, on va droit dans le mur ».
Les manières de s’engager sont multiples. Pourtant, un point semble particulièrement faire consensus auprès de nos sportives : l’importance de casser les silos encore présents dans le sport pour créer des alliances et des démarches collectives. « On pourrait penser qu’on se connaît car on pratique toutes les trois des disciplines aquatiques, mais pas du tout. Il n’y a pas de mise en lien au sein d’une même fédération », évoque Azenor. D’ailleurs, Marie le confesse, pour elle qui évolue sur le littoral, la pleine mer est un espace hostile. « Je pense qu’on a tout intérêt à faire cause commune car nos disciplines sont complémentaires ». Et en effet, très vite des exemples d’alliances ou d’actions collectives surgissent : Flora évoque sa dernière éco-aventure en Corse qu’elle a rejoint à la voile. Marie rêve de troquer son prochain surf-trip en avion pour un surf-trip à la voile et de discuter avec des athlètes qui ont une vision différente de la mer, etc.
Les fédérations sportives, alliés ou boulets ?
Le rapport du WWF publié en 2021 montre qu’avec une augmentation des températures, ce sont tous les clubs de voile du littoral qui pourraient être menacés par la montée des eaux. Dès lors, les fédérations sportives prennent-elles la mesure de ces transformations ? Accompagnent-elles les sportives à prendre la parole sur ces sujets ? La réponse est non pour Azenor qui témoigne plutôt d’un excès de zèle et de greenwashing de la part de la fédération de voile qui s’appuie encore sur l’image écolo de ce sport pour éviter de mettre en place des mesures fortes. « Les grandes courses comme le Vendée Globe ou la Route du Rhum continuent d’aller dans le sens des partenariats et de la visibilité médiatique. Elles ne sont pas engagées pour l’environnement. » Flora qui dépend de la même fédération acquiesce. Même si quelques efforts sont faits, « la fédération avance à 10km/heure quand il faudrait avancer à 80 km/heure ». Elle déplore le manque de moyens financiers et de ressources humaines pour prendre en compte ce sujet sérieusement et être réellement en phase avec les enjeux actuels. Et le constat est le même pour la fédération française de surf qui se focalise avant tout sur la performance. « S’il n’y a plus de vagues, on construira de nouvelles piscines à vagues », nous dit Marie qui voit fleurir des étapes de Tour internationaux dans ce type d’environnement… Elle reconnaît toutefois que de plus en plus de sportifs haussent le ton pour dénoncer cette évolution du surf et travaillent à imaginer de nouvelles voies pour les compétitions. Mais cela avance lentement. « Nous sommes des privilégié·es », nous dit-elle. « Nous ne faisons pas partie des millions de personnes qui vont subir de plein fouet la montée des eaux. Nos maisons ne sont pas menacées d’inondations à répétition, et même si c’est le cas, nous serons au pire relogés, donc on continue comme si de rien n’était à surfer dans nos piscines ». Un constat alarmant et lucide qui témoigne avant tout de la volonté de nos invités de voir leurs fédérations s’emparer réellement de ce sujet. Même si elles le reconnaissent également, les fédérations ne peuvent pas tout. Par exemple, elles ne sont pas décisionnaires des Tours privés. Or ce sont ces acteurs qu’il faut réussir à toucher pour faire évoluer les calendriers internationaux : « aujourd’hui on ne planifie pas une compétition ici ou là en fonction des conditions de vents favorables, mais en fonction de l’argent que la ville d’accueil met sur la table », Flora.
Les pistes d’amélioration sont multiples pour faire évoluer nos disciplines sportives. Les challenges encore à surmonter. Et pour information, nous rappelons que les fédérations françaises sont en période d’élection de leurs nouvelles directions. Une occasion de peut-être interpeller les candidat·es sur ces sujets ?
À plusieurs reprises le sujet de la lutte pour l’égalité entre les hommes et les femmes à été mentionné à demi-mot. Comme si l’engagement de nos sportives pour l’écologie ne peut se comprendre pleinement sans évoquer également les actions qu’elles mènent pour diminuer le sexisme qui sévit dans leurs sports. Point de surprise, nous organisons ce webinaire avec les Women for Sea. Mais alors, qu’en est-il réellement ? C’est le sujet de notre troisième et dernière partie de webinaire.
Vers une révolution éco-féministe dans le sport ?
Pour Azenor, ces deux sujets sont intimement liés car les discriminations envers les femmes dans le monde de la voile sont encore palpables. Que ce soit dans le démarchage de sponsors ou dans les prétentions salariales, les femmes accumulent les difficultés. « Comme pour l’écologie, on ne traite pas complètement ce sujet. On fait un peu semblant de changer des choses, mais à la marge histoire de calmer les ardeurs » nous dit-elle en donnant pour exemple le double mix rendu obligatoire dans la classe mini. Une nouveauté qui certes va dans le bon sens, mais reste insuffisante au regard des injustices. Même constat chez Marie qui qualifie le surf de discipline très masculine. Elle mentionne une répartition de l’espace dans l’eau encore très sexuée, où les femmes doivent faire leur preuve pour mériter une place dans le line-up (l’endroit où l’on prend les vagues). Elle évoque également des contrats de sponsoring fondés sur des critères d’influence ou esthétiques pour les femmes, plutôt que sur leurs performances et déplore une absence de modèle : « la plupart des coachs et des juges en surf sont des hommes ». Elle reconnaît toutefois que des efforts sont faits pour inverser la tendance et mentionne notamment l’ouverture d’un post dédié à ce sujet à la fédération française de surf. Une lueur d’espoir pour celle qui se retrouve souvent à être la seule femme à l’eau dès que les vagues dépassent 1m50.
« Quand j’ai découvert la compétition de Wingfoil, j’ai vraiment été choquée. En tant qu’ingénieur, j’avais toujours eu un salaire égal à celui des hommes, et là je débarque sur le tour mondial, les femmes gagnent 80% de moins que les hommes à podium équivalent et les seules photos de femmes que l’on voit sur les réseaux sociaux sont les moments ou elles gonflent leur wing sur la plage ». Flora Artzner
Même dans cette discipline plutôt récente qu’est le wingfoil, les inégalités ont la peau dure. Moins nombreuses, moins médiatisées, il y a toujours de bonnes raisons de ne pas mettre les femmes à condition égales des hommes. Ce qui l’attriste, c’est que cela ne semble choquer personne dans le milieu. Habitué à ce type de traitement, c’est souvent perçu par les sportifs comme « la normalité ». Le fameux « oui mais les femmes sont moins nombreuses que les hommes »… Un argument fallacieux que Flora déconstruit en rappelant qu’il y a des explications historiques et sociales qui permettent de comprendre pourquoi les femmes sont moins nombreuses ou performent moins que les hommes dans certaines disciplines. « Moins poussées à prendre des risques, à occuper l’espace public et à pratiquer des sports de plein air, les femmes ont beaucoup plus de barrières mentales à dépasser pour atteindre le haut niveau ». Elle appelle ainsi à une révolution des consciences pour que ce qu’elle a vécu ne se reproduise pas. Et conclut en admettant que tant que rien ne changera, elle ne retournera pas sur les circuits de compétitions.
On comprend ainsi que le combat de nos sportives est double, à la fois écologique, pour la préservation de l’océan, et sociale, pour la reconnaissance de leurs droits. Et que ces combats, elles les mènent de fronts, en alliant l’un à l’autre par le biais de leurs projets et de leurs prises de parole.
Le webinaire touche à sa fin. Nous ouvrons une série de Q&A avec les auditeur·ices durant laquelle nous parlons de critères éco-responsables, de mouvements de grève, de voix de l’océan qui nous poussent à agir… L’ensemble de la conférence est disponible à l’écoute, sur la chaîne Youtube des Women for Sea.